Une ferme à Détroit

Tu connais l’histoire de l’oiseau légendaire immortel, qui a dompté le feu et le ciel, et dont la sagesse est sans nul pareil ? Eh bien saches qu’il n’est pas le seul à avoir le potentiel de renaitre de ses cendres. La ville de Détroit l’a fait, et ce qui est sorti du sol pouvait prendre bien des couleurs différentes, mais la tendance était plus à la nature verdoyante qu’au rouge d’un feu flamboyant. (Et ça prend le temps de faire des rimes en plus). 

LE PASSÉ C’EST LE PASSÉ 

En 1880, Détroit est déjà une ville très connue pour son potentiel industriel sans rival. Sa proximité avec les Grands Lacs fait de la ville du Michigan un site idéal de manufacture et de transport, sans compter la récente vague d’immigration et l’installation de nombreux “nouveaux riches” (genre Gatsby le Magnifique) aux abords de la ville, qui à eux deux, créent un potentiel commercial et une force de travail inégalée. De plus, Détroit s’offre le Detroit United Railway (DUR) en 1901, un réseau de tramway reliant tous les quartiers et usines de la ville. 

Le DUR attire les constructeurs comme Ford et Packard qui y ouvrent leurs premières usines en 1903 et sont suivis par General Motors en 1908 et Chevrolet en 1911, faisant gagner à Détroit le célèbre surnom de Motown (contraction de Motor Town). Ce n’est pas tout, le modèle économique de Ford connait un succès phénoménal, il a révolutionné l’industrie dans les 1910’s avec le fordisme (usinage à la chaîne) et offre à tous ses employés 5$/jour, le double des salaires versés par la concurrence, afin d’attirer de plus en plus de main d’œuvre. En 1925, la Motown compte plus 3000 usines, dont 37 dans l’industrie automobile et pas moins de 250 concessionnaires auto, et le nombre d’habitant passe de 265 000 à 1,5 millions en moins de 30 ans. 

Malheureusement, l’essor de la ville prend fin pendant la Seconde Guerre Mondiale, quand les usines sont réquisitionnées pour fabriquer des chars d’assauts, bombardiers et autres véhicules militaires. Les tensions raciales entre afro-américains et blancs n’aides pas, elles mèneront à de premières émeutes en 1943. Coup de grâce, l’air et l’eau commencent à devenir réellement polluées suite aux trop nombreuses usines et la population blanche quitte massivement la ville à partir de 1950 et emmène avec elle toute sa popularité, Détroit commence à tomber en ruine. 

SOIGNER LE MAL ÇA SE PLANIFIE 

En 2010, Détroit c’est 713 000 habitants dont 80% de population noire. Plus d’un tiers de la ville est inoccupé, la plupart des infrastructures ne sont pas opérationnelles et la crise de Subprimes de 2007 (financière et hypothécaire) n’arrange rien, les maisons se vendent désormais pour 500$. À côté de ça, la ville a plus de 18 milliards de dollars de dette, 15% de la population est au chômage (9,7% la moyenne nationale), un bon 47% est jugée analphabète et le taux de criminalité augmente fortement. De quoi favoriser l’image de la ville ghetto qu’on connait si bien et faire fuir les commerces (énormément de délinquance et de vandalisme). Saupoudrons tout ça de budget mal géré et on obtient Détroit qui se déclare en faillite en 2013. 

Dès lors, plusieurs solutions ont été mises en place, notamment le rachat de la dette par de riches particuliers afin de redynamiser le centre-ville. Mais la mairie et ses mécènes visent plus le profit à venir que la réelle utilité de leurs investissements pour les habitants, surtout ceux vivant en dessous du seuil de pauvreté. Ils prennent eux même des initiatives comme la création du Threat Management Center, un service de maintien de l’ordre ou la Detroit Bus Company, un service de transport indépendant de la mairie et adapté aux besoins des résidents. Mais la décision la plus respectable et avisée des locaux, c’est la transformation progressive d’espaces inutilisés en zones d’agriculture urbaine

DE MES CENDRES RENAIT LE VERDISSEMENT 

Excepté Coleman Young qui lance le programme Farm-a-Lot en 1970 (pour pousser les locaux à cultiver dans leurs jardins), les maires précédents et même l’actuel semblent plus absorbés par la gestion de la dette et les valeurs pérennes de l’immobilier que par le confort et à la santé de (tous) leurs citoyens. Or Détroit faisait aussi partie des plus grand déserts alimentaires des USA jusqu’à récemment.  

L’association Detroit Black Community Food Security Network (BDCFSN) est créée en 2006 pour pallier au manque d’accessibilité aux denrées alimentaires saines et fraîches des communautés hors du centre-ville, où l’on ne trouve que des épiceries et des liquor-stores. BDCFSN récupère plus de 17 hectares de terre dédiés à la culture bio d’une trentaine d’espèces de fruits, légumes et herbes aromatiques. À cela s’ajoutent quelques serres et élevages, tous sous la bannière d’un de leurs programmes, la D-Town Farm, qui rapporte pas moins de 150 tonnes de nourriture saine par an (même si ça ne remplit que 20% des objectifs alimentaires de la ville). Ils ne s’arrêtent pas là, ils ouvrent aussi des cuisines collaboratives où chacun est libre de venir cuisiner ou partager ses recettes, comme le montre leur programme Food Co-op, un projet de soupe populaire. Leur dernier programme consiste à enseigner aux jeunes (et autres volontaires) comment et pourquoi cultiver, l’importance d’une alimentation saine et d’un environnement vert et durable

Cette démarche d’agriculture urbaine contribue au verdissement d’une ville aux allures postapocalyptique et à faire circuler l’argent intelligemment dans les communautés qui s’y impliquent (une partie des produits cultivés vont dans les épiceries). Elle a également une grande influence sociale, les locaux sortent de chez eux, se rencontrent et discutent, apprennent le travail de la terre, créent des liens qui renforcent la communauté et baisse indirectement le sentiment d’insécurité. Naturellement, ce verdissement va créer des emplois et une dynamique d’autosuffisance, indépendante d’un gouvernement qui ne partage pas leurs idéaux.  

SUPPLÉMENT CULTURE 

Le mouvement social et d’agriculture urbaine crée par la BDCFSN a eu plus d’impact que prévu. L’association a motivé la création d’autre associations rassemblant des locaux soucieux de leur alimentation ou de leur entourage. Certaines sortent un peu plus du lot comme Fireweed, qui propose de cultiver sur tous les terrains vides des quartiers Golden Gate et Robinwood, ainsi que réparer des vélos gratuitement et de recycler des vêtements. Il y’a aussi Singing Tree Garden qui se spécialise dans la plantation d’arbres fruitiers et assure la qualité des sols, ou Recovery Park qui cultive sur 120 hectares et aide à la réhabilitation de patients en cure de désintoxication. Il y’a aussi les associations Peaches & Greens et Peacemaker qui donnent des cours de cuisines gratuits et The Greening of Detroit qui réaménage les parcelles de terrain vides pour y cultiver ou planter des arbres et propose plusieurs autres services d’entretiens des espace verts. Les batailles sont différentes mais le combat de l’autosuffisance et de l’entraide est le même. 

Toutes ces initiatives ont suscité l’attention de l’Eastern Market, présent dans tout le sud-est du Michigan. Grâce aux efforts agricoles des locaux, l’EM est en mesure de proposer un marché à Détroit ouvert toute l’année (chaque samedi) et 3 jours par semaine de juin à octobre. Plus de 20 producteurs différents (fermiers, assos, éleveurs, apiculteurs, …) y proposent leurs produits chaque semaine. Il y’a des cuisines collaboratives comme la Kitchen Connect qui accueille et forme des cuisiniers, et dont les plats sont préparés avec les produits frais du jour. L’EM aide aussi à la création d’emploi et de restaurants, et génère un énorme trafic dans la ville en attirant pas moins de 40 000 personnes par an, de quoi créer et renforcer un lien producteur/consommateur et revaloriser l’impact de l’agriculture urbaine sur Détroit. 

VERTE TRAINÉE DE POUDRE 

Le verdissement plaît et il y’a désormais énormément d’organisations qui souhaitent collaborer avec  l’Eastern Market ou les associations d’agriculture urbaine de Détroit. Il y’a des universités comme celles du Michigan ou Wayne State, également des instituts de contrôle qualité, des organismes caritatifs à plus grande échelles, des bio ingénieurs, … Ils bénéficient même de partenariats avec les médias comme la Fox News ou des chaînes de radio. Les étudiants de diverses universités viennent y faire des stages et pas seulement des USA. L’association ShYC (Shake Your City) en France envoie des étudiants de l’Université Paris-Saclay et de l’AgroParisTech en mission depuis 2017, en partenariat avec l’asso Earth Work Farm de Détroit. 

On salue également le AgriHood de la Michigan Urban Farming Initiative qui a aménagé 6 hectares de cultures en tout genre où les locaux peuvent se servir gratuitement, avec un parc fruitier de plus de 200 arbres et un espace sensoriel pour les enfants. 

L’agriculture urbaine a déjà fait ses preuves à bien des échelles. Elle a même dépassé la simple nécessité de nourrir les locaux et devient autant une des meilleures solutions pour une ville en termes de santé, d’économie et de tremplin pour les générations futures, qu’une source d’inspiration à l’étrangers. La ville de Paris s’est engagée en 2017 à créer 30 hectares de surface cultivable dans ses murs, pour accueillir fermes, agriculture urbaine, permacultures, arbres fruitiers et verdissement en tout genre, à commencer par la ferme Suzanne dans le centre de la capitale. 

Aller je vous laisse approfondir vous-même, la bise ! 

PS : Les déserts alimentaires sont fréquents aux USA, régler cette situation est la mission que s’était donné Michelle Obama durant les mandats de son époux.

 

PS 2 : L’agriculture urbaine est ce qui a nourrit Cuba pendant presque 60 ans, depuis que les USA leur ont imposé leur embargo. 

Et j’espre que t’as encore faim ! Parce qu’on a une petite story « Quoi de neuf Dr. Despommier ? » sur l’argiculture verticale !

Pour aller plus loin ?

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